Soutenance de thèse de Thibault Lemaitre-Basset

Titre : Importance de la demande en eau atmosphérique et anthropique en contexte de changement climatique sur la durabilité de la gestion de la ressource - Cas d'étude du bassin versant de la Moselle en France

Composition du jury  :
Gilles DROGUE, Université de Lorraine, Nancy, rapporteur
Jean-Philippe VIDAL, INRAE, Lyon, rapporteur
Valérie PLAGNES, Sorbonne Université, examinatrice
Louise CROCHEMORE, Université Grenoble Alpes, examinatrice
Sylvain PAYRAUDEAU, ENGEES, Strasbourg,   examinateur
Ludovic OUDIN, Sorbonne Université, directeur de thèse
Guillaume THIREL, INRAE, Antony, encadrant de thèse
Lila COLLET, EDF, Saclay, invitée

La soutenance se déroulera le mercredi 29 mars à 14h, dans l'amphithéâtre Charpak  (entrée par le pied de la tour 22 au niveau Jussieu), sur le campus Pierre et Marie Curie (Sorbonne Université, 4 place Jussieu, 75005 Paris).

 

Résumé :  Les projections climatiques analysées dans le cadre du travail du GIEC indiquent des augmentations de température de l’air allant de +2 à +6 °C d’ici 2100 en moyenne sur la surface terrestre. Un réchauffement d’une telle ampleur et d’une telle rapidité est inédit, et il est dû aux activités humaines. Malgré ce constat, une réduction des émissions de gaz à effet de serre ne semble pas se dessiner dans un délai raisonnable. Il est donc nécessaire de réfléchir à des stratégies d’adaptation pour limiter les impacts délétères du changement climatique. Le cycle de l’eau est directement impacté par ces changements climatiques, via une augmentation de la demande en eau de l’atmosphère qui pourrait entraîner une augmentation de l’évapotranspiration, et via un accroissement de la pression anthropique sur la ressource en eau, dont les réserves peuvent évoluer.
En s’appuyant sur des simulations hydrologiques établies en contexte de changement climatique, les gestionnaires sont en mesure d’apprécier la magnitude des changements futurs. Néanmoins, l’utilisation de modèles hydrologiques repose sur l’utilisation d’hypothèses de stationnarité qui peuvent être mises à mal en contexte de changement global. L’objectif général de la thèse est de proposer des méthodologies permettant de mettre en place une modélisation hydrologique plus pertinente pour répondre à des problématiques de gestion durable de la ressource en eau que doivent résoudre des gestionnaires. En premier lieu, nous nous intéresserons à l’estimation de la demande en eau de l’atmosphère, concept largement utilisé en modélisation hydrologique. De nombreuses formulations plus ou moins empiriques permettent d’estimer cette demande en eau de l’atmosphère, via le calcul de l’évapotranspiration potentielle (ETP). De nombreuses formulations d’ETP existent, et leur capacité d’extrapolation en conditions futures avec des forçages climatiques inédits reste incertaine. Le premier objectif de la thèse est donc d’évaluer l’incertitude engendrée par les formulations d’ETP sur les projections futures. En second lieu, nous nous intéresserons aux influences anthropiques liées aux usages de l’eau (prélèvements ou rejets). Ces influences ne sont classiquement pas prises en compte dans la modélisation hydrologique, faute de données ou d’outils adaptés. L’hypothèse souvent faite en modélisation est que ces influences sont trop faibles et diffuses pour impacter l’hydrologie naturelle, et donc qu’elles ne nécessitent pas d’être explicitées. Or, avec l’augmentation de la pression anthropique sur les ressources en eau, négliger les usages de l’eau devient difficilement défendable. Le second objectif de la thèse est donc de développer une modélisation explicite des usages de l’eau permettant d’évaluer des scénarios de la gestion de l’eau à l’échelle des bassins versants.
La difficulté à estimer l’évapotranspiration réelle est bien connue, c’est pourquoi l’utilisation du concept d’évapotranspiration potentielle comme étant la demande en eau de l’atmosphère à satisfaire est souvent utilisée. Cette grandeur théorique utilisée par les modèles est reliée à l’évapotranspiration réelle, mais le comportement de la relation entre les deux grandeurs est difficilement prévisible sous climat changeant. De plus, les biais sur l’estimation de l’évapotranspiration réelle sont connus pour être compensés lors du calage des paramètres des modèles hydrologiques. Néanmoins, dans le cadre d’une étude d’impact du changement climatique, ces biais sur l’estimation de l’ETP et leurs impacts sur les simulations d’écoulement ne sont pas forcément stationnaires. La première partie de la thèse présente une étude de sensibilité des projections d’évapotranspiration potentielle vis-à-vis des formulations employées, à l’échelle de la France. Au regard des divergences entre formulations d’ETP, nous interrogeons la part dans l’incertitude totale qui caractérise les projections futures provenant de la formule d’ETP. La contribution des formules à l’incertitude totale apparait comme étant mineure (< 10 %) avec une approche multi-scénario et multi-modèle, mais dans le cas d’un seul scénario d’émission de gaz à effet de serre, la contribution de la formulation de l’ETP devient plus importante. Une formulation comme celle de Penman-Monteith présente une évolution intermédiaire à long terme (d’environ +60 mm d’ETP annuelle) en comparaison aux autres formules testées (de +30 mm à +130 mm). Cependant, dans un contexte de changement climatique, le taux de CO2 dans l’atmosphère va augmenter fortement. Si les formulations d’ETP tiennent toutes compte de l’augmentation des températures, seules certaines d’entre elles peuvent également tenir compte des concentrations de CO2 atmosphérique. La formulation de Penman-Monteith fait intervenir le concept de résistance stomatique, qui peut être modifiée par le taux de CO2 atmosphérique. Nous avons donc réalisé des ajustements de la formulation de Penman-Monteith vis-à-vis des évolutions de concentrations de CO2 atmosphérique, selon les scénarios radiatifs de CMIP5. Ainsi, une analyse de l’évolution du ruissellement moyen annuel, à l’échelle de la France, avec différents ajustements de la formule de Penman-Monteith, a mis en avant l’effet potentiel de la prise en compte du taux de CO2 sur la résistance stomatique, conduisant à une diminution de l’évapotranspiration potentielle, qui conduit à une augmentation du ruissellement moyen.
La seconde partie de la thèse s’intéresse à l’évolution des besoins en eau anthropiques, tels que la navigation, l’énergie et l’alimentation en eau potable, et de leur satisfaction en contexte de changement climatique. Pour ce faire, un modèle hydrologique semi-distribué couplé à des modèles d’usage de l’eau a été mis en place pour le bassin versant de la Moselle. La prise en compte explicite des usages de l’eau par le modèle hydrologique a nécessité de traduire des règles de gestion existantes en algorithme pour tenir compte de débits réglementaires à respecter dans le réseau hydrographique aval qui peuvent limiter des usages en amont, ou encore pour reproduire l’influence d’ouvrages-réservoirs. D’autre part, il a fallu hiérarchiser les besoins selon les usages pour respecter des règles de restrictions d’usage en cas d’étiage sévère. Ainsi, la vulnérabilité du territoire et de la ressource a pu être analysée en tenant compte des fortes incertitudes inhérentes aux projections climatiques. Puis, des trajectoires d’évolution d’usages de l’eau ont été explorées grâce à la mise en place de scénarios prospectifs. Ces trajectoires contrastées ont permis d’analyser la sensibilité des projections et la vulnérabilité de la ressource vis-à-vis des changements des usages de l’eau.  Les résultats ont montré que les scénarios d’évolution des besoins affectaient l’équilibre entre la ressource disponible et le besoin, mais ne compensaient pas les effets du changement climatique sur les étiages. Finalement, la thèse se termine par une comparaison entre des projections hydrologiques réalisées à partir de formules d’évapotranspiration potentielles différentes, et une comparaison entre un modèle hydrologique intégrant les usages de l’eau et un modèle hydrologique classique. C’est l’importance du modèle hydrologique qui intègre les usages de l’eau qui ressort de la discussion, comme une source d’incertitude potentiellement plus importante que l’estimation de l’évapotranspiration sur le bassin d’étude.

Abstract: The climate projections analysed in the IPCC reports indicate an increase in air temperature ranging from +2 to +6 °C on average by 2100. A warming of this magnitude and speed is unprecedented, and it is due to human activities. Despite this fact, a reduction in greenhouse gas emissions does not seem to be in sight within a reasonable time frame. It is therefore necessary to think about adaptation strategies to mitigate the deleterious impacts of climate change. The water cycle is directly impacted by climate change, through an increase in atmospheric water demand that could lead to an increase in evapotranspiration, and through an increase in anthropogenic pressure on water resources, whose reserves may change.
By relying on hydrological simulations under climate change scenarios, stakeholders can assess the magnitude of future changes. However, hydrological models often rely on stationarity assumptions that may not be valid under global change. The overall objective of this thesis is to introduce methodologies that implement hydrological modelling frameworks more suited to deal with the challenges faced by stakeholders in sustainable water resource management. First, this work focuses on the estimation of atmospheric water demand, a concept widely used in hydrological modelling. Numerous formulations, usually based on different levels of empiricism, are used to estimate this atmospheric water demand, via the calculation of potential evapotranspiration (PET). Many PET formulations exist, but their ability to extrapolate to future conditions with new climate forcings remains uncertain. The first objective of this thesis is therefore to evaluate the uncertainty resulting from the PET formulations on future projections. Secondly, this work focuses on the anthropogenic influences related to water uses (abstractions or discharges). These influences are usually not taken into account in hydrological modelling, due to lack of data or adapted tools. The assumption often made in modelling is that these influences are too low and diffuse to impact natural hydrological behaviours, and therefore do not need to be made explicit. However, with the increase in anthropogenic pressure on water resources, neglecting water uses becomes a difficult assumption to defend. The second objective of this thesis is therefore to develop a modelling framework that explicitly takes water uses into account in order to evaluate adaptation strategies for water management at the catchment scale.
The difficulty in estimating evapotranspiration is well known. For this reason, the concept of potential evapotranspiration, which is defined as the atmospheric water demand to be satisfied, is often used. This theoretical quantity, used by hydrological models, is related to the actual evapotranspiration quantity, but the behaviour of the relationship between the two quantities under a changing climate is difficult to predict. Moreover, biases in the estimation of actual evapotranspiration are known to be compensated for when calibrating the parameters of hydrological models. Nevertheless, in the context of a climate change impact study, these biases on the estimation of PET and their impacts on runoff simulations are not necessarily stationary. The first part of this thesis presents a sensitivity study of potential evapotranspiration projections with respect to the PET formulations, at the scale of France. In view of the differences between the PET formulations, we question the part of the total uncertainty in future projections that comes from PET formulations. The contribution of the formulations to the total uncertainty appears to be minor (< 10 %) with a multi-scenario and multi-model approach, but in the case of a single greenhouse gas emission scenario, the contribution of the PET formulation becomes more important. A formulation such as the Penman-Monteith formulation shows an intermediate long-term change (of about +60 mm annual PET) compared to the other formulations tested (from +30 mm to +130 mm). However, the CO2 concentration in the atmosphere will increase significantly with climate change. While the PET formulations take the increase in temperature into account, some of them can also take the atmospheric CO2 concentration into account. The Penman-Monteith equation integrates the concept of stomatal resistance in its formulation. Stomatal resistance can be affected by atmospheric CO2 levels. We have therefore modified the Penman-Monteith formulation with respect to changes in atmospheric CO2 concentrations, according to the CMIP5 radiative scenarios. An analysis of the evolution of the mean annual runoff, at the scale of France, with different adjustments of the Penman-Monteith formulation, has highlighted the potential effect of the CO2 concentration on the stomatal resistance, leading to a decrease in potential evapotranspiration, which leads to an increase in mean runoff.
The second part of this work focuses on the evolution of anthropogenic water needs, such as navigation, energy and drinking water supply, and meeting their needs in the context of climate change. For this purpose, a semi-distributed hydrological model coupled with water use models has been implemented for the Moselle catchment. The explicit consideration of water uses by the hydrological model required the translation of existing management rules into algorithms. This was achieved to include the minimum flows to be respected in the downstream hydrographic network (which can limit upstream uses) and to reproduce the influence of reservoir structures. Furthermore, it was necessary to prioritize the needs according to the uses in order to respect the rules of restrictions of use in case of severe low-flow conditions. Thus, the vulnerability of the territory and of water resources were analysed, taking into account the strong uncertainties associated with climate projections. Then, trends of evolution of water uses were explored thanks to the implementation of prospective scenarios. These contrasting trajectories made it possible to analyse the sensitivity of the projections and the vulnerability of the resource to changes in water use.  The results showed that the scenarios of water need evolution had an impact on the balance between the available resource and the need, but did not compensate the effects of climate change on low flows. Finally, a comparison of hydrological projections made from different potential evapotranspiration formulas, and a comparison between a hydrological model integrating water uses and a more classic hydrological model were conducted. The importance of the hydrological model that integrates water uses emerges from the discussion as a potentially more important source of uncertainty than the estimation of evapotranspiration over the study basin.

 

Mercredi, 29 mars, 2023 - 14:00
SU Site Jussieu - Amphithéâtre Charpak