Rétroactions des eaux souterraines et de l’irrigation sur les extrêmes climatiques passés et futurs
Directrice de thèse : Agnès Ducharne
De nombreuses études ont montré l'impact des conditions de surface sur climat, et notamment sur les extrêmes, via des processus complexes impliquant des rétroactions entre surface et atmosphère (qui peuvent amplifier ou atténuer les impacts directs). Ces effets se manifestent à différentes échelles spatio-temporelles, par exemple l'irrigation tend à rafraichir l'atmosphère (localement) et augmenter les précipitations (sous le vent) en été1 ; les canicules estivales en Europe sont favorisées par les sécheresses printanières2 ; les couplages surface-atmosphère contribuent à expliquer la tendance planétaire à des continents plus arides au 21ème siècle qu'à l'actuel3.
Ces effets restent cependant mal compris, car difficiles à mettre en évidence à partir d'observations. L'objectif sera donc d'utiliser la modélisation pour explorer l'effet sur le climat (passé et futur) de deux facteurs de contrôle importants des rétroactions surface - atmosphère, à savoir l'irrigation et les nappes souterraines. L'un et l'autre sont susceptibles d'augmenter l'humidité des sols, donc l’évaporation, ce qui rafraichit l'atmosphère et favorise les précipitations1,4. On peut ainsi supposer qu'ils constituent une sorte de "climatiseur" du climat, notamment l’été, en atténuant certains événements extrêmes (sécheresses et vagues de chaleurs). La temporalité de ces deux facteurs est cependant différente, avec une inertie plus forte pour les eaux souterraines, pouvant impliquer des rétroactions complexes avec la variabilité saisonnière et pluriannuelle du climat, et des effets sur la fréquence des crues. A plus long terme, une question importante est de savoir si et comment le réchauffement et l’aridification continentale projetés au 21ème siècle peuvent être modifiés par les rétroactions avec les eaux souterraines et l'irrigation. On peut notamment imaginer que ces facteurs puissent atténuer les manifestations d'aridification/réchauffement dans un premier temps, avec une bascule plus ou moins brutale quand les ressources en eau deviendraient insuffisantes pour que ces facteurs continuent à jouer leur rôle de "climatiseur", si bien que l'aridification et le réchauffement seraient au contraire amplifiés par les rétroactions surface-atmosphère.
Le travail proposé repose sur le modèle climatique de l'IPSL, couplé au modèle de surface ORCHIDEE, qui décrit les liens entre humidité du sol, évapotranspiration, température atmosphérique et précipitation d’une part, et les liens entre humidité du sol, irrigation et eaux souterraines d'autre part. Ces dernières font l’objet d’une description simplifiée, récemment développée pour la grande échelle du modèle climatique5. Le calibrage de ce module d’eau souterraine et l’adaptation du module d’irrigation existant pour tenir compte de l’alimentation par les eaux souterraines seront nécessaire au préalable. Cette étape pourra bénéficier de la possibilité de contraindre les vents observés pour obtenir un climat simulé suffisamment réaliste et suffisamment sensible aux conditions de surface pour que la comparaison à des observations météorologiques ou hydrologiques soit informative6. Des simulations « libres » seront ensuite réalisées avec / sans eau souterraine et/ou irrigation pour étudier l'impact de ces facteurs et de leur combinaison sur le climat passé et futur (forcé par le scénario de forçage radiatif SSP585 utilisé pour les nouvelles projections CMIP6). Une attention particulière sera accordée aux évènements extrêmes (sécheresses, vagues de chaleur, crues), grâce à des méthodes d’analyse fréquentielle7,8. Ce travail permettra d'avoir une nouvelle perspective sur les incertitudes des projections climatiques "classiques" qui négligent l'impact de ces deux facteurs de contrôle et des rétroactions associées sur le climat simulé.