Les êtres vivants sont exposés de façon chronique à une multitude de composés présents à des doses faibles et variables, dans divers milieux environnementaux (eau, air, aliments), et ce via plusieurs voies d’absorption (orale, cutanée ou pulmonaire). Ces contaminants de l’environnement peuvent représenter un danger sanitaire, de nature toxique ou de type perturbateur endocrinien[1] (PE). Toutefois, dans des conditions in situ, où l’Homme est exposé à un mélange de micropolluants, ce danger reste difficile à estimer en raison des effets interactifs potentiels entre molécules (effets « cocktail »). Ces effets peuvent dépendre non seulement de la nature des composés, mais aussi de leurs concentrations dans le mélange. En conséquence, il est difficile d’identifier quels sont les contaminants à l’origine des effets toxicologiques observés pour un mélange de micropolluants.
Par ailleurs, il est estimé qu’un adulte passe en moyenne au moins 80 % de sa vie à l’intérieur de locaux où l’air ambiant est souvent plus contaminé qu’à l’extérieur. La caractérisation de la multi-contamination de l’air intérieur, à laquelle l’Homme est exposé de façon passive et chronique, représente donc un enjeu sanitaire important.
Dans ce contexte, notre objectif est de développer une méthode bio-analytique innovante pour caractériser le danger inhérent à la multi-contamination de l’air intérieur, en couplant l’analyse chimique de contaminants à des mesures biologiques d’effets toxiques et/ou perturbateurs endocriniens.
La première phase de notre approche consiste à caractériser la contamination de l’air dans différents locaux et les effets perturbateurs endocriniens associés.
Quatre lieux de vie ont ainsi été comparés : un bureau, un appartement et une maison pour étudier l’exposition de la population générale, mais aussi une crèche pour considérer celle d’une population sensible (les enfants). Soixante-neuf composés organiques semi-volatils, PE avérés ou non, ont été recherchées dans les phases gazeuse et particulaire de l’air. De propriétés physico-chimiques très diverses, ils sont regroupées en plusieurs familles : pesticides, diélectriques, retardateurs de flamme, plastifiants, bactéricides, muscs synthétiques, tensio-actifs ou composés issus de processus de combustion.
Afin de caractériser la contamination de l’air par les molécules organiques recherchées, nous avons développé une méthode d’analyse multi-résidus par chromatographie en phase liquide et en phase gazeuse, couplée à la spectrométrie de masse, avec des rendements d’extractions par ASE (Extraction Accélérée par Solvant) toujours supérieurs à 70 %. Le potentiel PE des phases atmosphériques a été évalué à partir de bio-essais cellulaires permettant de mesurer les perturbations de l’activité des récepteurs nucléaires œstrogéniques, androgéniques et thyroïdiens.
Au terme de cette première phase, nous avons pu déterminer les concentrations en contaminants cibles des phases gazeuse et particulaire des locaux choisis, mais aussi leur potentiel PE.
Dans la deuxième phase du projet, l’objectif du travail va être d’identifier quels sont les contaminants cibles à l’origine du potentiel PE observé.
Une méthodologie bio-analytique innovante, appelée « analyse dirigée par les bio-essais » ou « effect directed-analysis » (EDA), sera mise en œuvre pour un lieu de vie, sélectionné à l’étape précédente pour sa fréquentation par des populations sensibles et/ou pour son potentiel PE élevé. L’approche EDA consiste à réduire la complexité d’extraits organiques par fractionnement analytique progressif afin d’identifier les composés ou familles de composés clés dans les fractions biologiquement actives. Elle implique donc l’utilisation couplée d’outils biologiques (bio-essais cellulaires in vitro) et d’outils de chimie analytique : fractionnement par séparation chromatographique (chromatographie liquide semi-préparative) et analyse par chromatographie couplée à la spectrométrie de masse.
Ce projet devrait permettre d’apporter des connaissances sur les « effets cocktail » de composés en mélange, et pourrait également mettre en évidence ou confirmer le potentiel PE de certaines molécules. A l’interface entre la caractérisation du danger et l’évaluation des expositions, les retombées de ce travail contribueront à identifier les priorités d’actions relatives à la réduction des émissions de PE. Il permettra également de mieux appréhender l’exposition des populations dans les habitats.
[1] Substances exogènes qui altèrent le fonctionnement du système endocrinien et par conséquent causent des effets néfastes sur la santé d’un organisme intact, de sa descendance ou d’une sous population. Organisme Mondial de la santé, 2002.