Soutenance de thèse de Julia Le Noë

Titre : Fonctionnement biogéochimique et trajectoires des systèmes agricoles territoriaux français: flux de carbonne, azote et phosphore (1852-2014)

Les membres du jury seront :

Mme Sabine BARLES, Professeur des universités, Université Paris 1, UMR 8504 Géographie-cités, rapporteur
M. Thomas NESME, Professeur des universités, Bordeaux Sciences Agro, UMR 1391 ISPA, rapporteur
Mme Simone GRINGRICH, Enseignant-chercheur, Universität für BodenKultur, Institut für Soziale Ökologie (SEC), Vienne, examinatrice
M. François BAUDIN, Professeur des universités, SU UMR 7193 ISTeP, examinateur
M. Petros CHATZIMPIROS, Maître de conférences, Université Paris Diderot, UMR 8236 LIED, examinateur
M. Luis LASSALETA, chercheur, Universidad Politécnica de Madrid, CEIGRAM, invité
Mme Josette GARNiER, Directeur de recherche CNRS, SU UMR7619 METIS, co-directrice de thèse
M. Gilles BILLEN, Directeur de recherche émérite CNRS, SU UMR7619 METIS, co-directeur de thèse

Résumé : La gestion des ressources en agriculture doit faire face à  un double enjeu : produire suffisamment de nourriture pour nourrir les Hommes tout en préservant la qualité des  écosystèmes pour les générations futures. Dans ce contexte, le travail réalisé au cours de cette thèse décrit les systèmes de production agricole en termes de flux biogéochimiques d’azote (N), de phosphore (P) et de carbone (C) dans les territoires français de 1852 à 2014 suivant une approche socio-écologique qui permet d’appréhender les logiques qui les gouvernent. Dans ce but, l’approche GRAFS (Generalized Representation of Agro_Food Systems) a été étendue au C et développée pour permettre l’analyse sur la longue durée. GRAFS est un modèle générique de comptabilité biogéochimique qui décrit le système agricole d’un territoire en termes de flux de nutriments entre les terres arables, les prairies permanentes, le bétail, la population humaine et les écosystèmes environnants.
Les résultats obtenus mettent en lumière à l’échelle des territoires français le lien systémique entre structures  de production, bilans N et P et variations des stocks de C organique dans les sols agricoles.  Les systèmes agricoles intensifs et spécialisés engendrent les pertes environnementales et les consommations de ressources par unité de surface agricole les plus considérables et accentuent l’ouverture des cycles d’N et de P. A l’inverse, les territoires de polyculture-élevage ont des consommations en N et P moindres, atténuant les pertes vers l’atmosphère et l’hydrosphère.
L’analyse sur la longue durée révèle que c’est seulement après la seconde guerre mondiale, sous la pression de politiques volontaristes, que certaines régions françaises se sont spécialisées dans la grande culture ou, à partir des années 1980, dans l’élevage intensif, renforçant leur intégration aux marchés internationaux. En particulier, la période des années 1950 à 1980 est marquée par l’accélération concomitante des rendements des cultures végétales, de la densité de cheptel et de l’usage des fertilisants minéraux. Les conséquences en ont été une augmentation des bilans N et P des sols arables et des prairies permanentes ainsi que l’accroissement des apports de C aux terres arables, causant des pertes considérables d’N vers l’hydrosphère et l’atmosphère et l’augmentation des stocks de P et de C dans les sols. Néanmoins, l’accumulation du C résultant de l’augmentation de la production végétale n’a été rendue possible que par le recours accru aux fertilisants minéraux et au machinisme agricole consommant des énergies fossiles. Ainsi, le stockage du C dans les sols représente un effet secondaire du passage d’un métabolisme énergétique dépendant de l’énergie solaire à un métabolisme fondé sur la combustion d’énergie fossile. Globalement, ces analyses indiquent clairement que, bien au-delà de la simple optimisation des pratiques et techniques agricoles, des changements structuraux profonds des systèmes de production sont nécessaires pour réduire l’empreinte environnementale de l’agriculture française.
L’intérêt d’une approche historique réside aussi dans sa capacité à embrasser l’avenir. Pour illustrer ce point,  les résultats précédents ont été  utilisés comme base pour l’exploration de deux scénarios prospectifs du futur de l’agriculture française. Le premier scénario poursuit la tendance à l’ouverture et à la spécialisation qui caractérisent de nombreux territoires français depuis les 50 dernières années, tandis que le second suppose une transition vers une plus grande autonomie à l’échelle des fermes et des territoires, une reconnexion de l’élevage et des cultures et un régime alimentaire plus frugal, où la portion de protéines animales est réduite à 40%. Le premier scénario, même s’il se  conforme aux normes réglementaires de la fertilisation raisonnée, conduirait à augmenter encore davantage les nuisances environnementales. En revanche, le scénario alternatif permettrait de répondre à la demande alimentaire nationale tout en conservant une quantité substantielle de production végétale disponible à l’exportation et permettrait de réduire significativement les pertes environnementales.

Mots-clefs : biogéochimie, cycle de l'azote, cycle du phosphore, cycle du carbone, système agro-alimentaire, métabolisme socio-écologique, trajectoires

Title: Biogeochemical functioning and trajectories of French territorial agricultural systems: Carbon, Nitrogen and Phosphorus Fluxes (1852-2014)

Abstract: Resource management in agriculture is a permanent challenge as it implies to produce enough food to feed people while preserving terrestrial and aquatic environments from pollution and loss of fertility for next generations. In this context, this work investigates agricultural systems from the angle of nitrogen (N), phosphorus (P) and carbon (C) biogeochemical fluxes in French regions from 1852 to 2014, following a socio-metabolic approach stressing out the underlying logic behind these material fluxes. To that end, the GRAFS approach (Generalized Representation of Agro-Food Systems) was extended to C and developed for long term analysis. GRAFS is a generic biogeochemical accounting method describing agro-food system of a given region, by quantifying nutrient fluxes between cropland, permanent grassland, livestock, humans, and the surrounding environment.
Results brought out by this research highlight the systemic relation between production pattern and N and P balances, and changes in soil organic C stocks in agricultural soil of French regions. Intensive specialized agricultural systems generate high environmental losses and resource consumption per unit agricultural surface and present largely open nutrient cycles due to substantial trade flows. Conversely, integrated crop and livestock farming have more limited N and P consumption and lead to lower air and water contamination.
Long-term analysis shows that these patterns have not always existed; only after the Second World War, under the pressure of strong interventionist policies, some French regions specialized into crop or livestock farming, increasing their integration into the international market. Particularly, the period from the 1950’s to the 1980’s was marked by a concomitant acceleration in crops yields, livestock production and use of mineral fertilizers. This resulted in increased N and P balances over cropland and grassland and growing C inputs to cropland, causing important losses of N to the hydrosphere and atmosphere, together with the accumulation of P and C stocks in cropland soils. However, C accumulation resulting from increased crop production was permitted by the increased recourse to mineral fertilizers and agricultural machinery which consumes fossil-fuel energy. Therefore, C storage in cropland appeared to be a side-effect of the shift from an energy metabolism based on solar energy to one based on fossil-fuel combustion. Overall, trajectory analysis made clear that deep structural changes of the agro-food system, beyond the mere optimization of agricultural practices, are necessary to further reduce the environmental imprint of agricultural production.
The value of a historical perspective also lies in an improved ability to embrace the future. To illustrate this, the  results were used as a basis for exploring two prospective scenarios for the future of French agriculture. The first one pursues the opening and specialization characterizing the long-term evolution of the last 50 years of most French agricultural regions, while the second assumes a shift towards more autonomy at the farm and regional scales, a reconnection of crop and livestock farming and a more frugal human diet. The former, even complying with regulations regarding reasoned fertilization, would result in considerable environmental burdens. The latter alternative scenario would meet the future national food demand while still exporting substantial amount of cereals to the international market, and would significantly reduce losses to the environment.

Keywords: biogeochemistry, nitrogen cycling, phosphorus cycling, carbon cycling, agro-food system, socio-ecological metabolism, trajectories

Monday, 24 September, 2018 - 14:00
Amphithéâtre 55 B - site Jussieu Pierre et Marie Curie